Le dictionnaire définit ainsi la sincérité: qui dit ce qu’il pense vraiment, qui réagit en conformité avec ce qu’il croit être juste, qui est fait avec honnêteté. Je peux donc dire que je suis sincèrement désolé:
Le but premier de l’intégrité est d’amener de la fonctionnalité dans notre vie. J’affirme que je serai présent à telle heure; si je veux être intègre, je promets implicitement d’être à l’heure et pour ce faire, je prendrai les moyens adéquats pour honorer cette promesse tacite.
Quant à la personne sincère, elle fait son possible; elle n’est pas responsable, donc elle est à la merci des circonstances (“Ce n’est pas ma faute si…”). La personne sincère veut avoir l’air d’une bonne personne; elle ne veut surtout pas mal paraître. Elle accepte donc la médiocrité et se dit que ce n’est pas si pire. Ses expressions préférées sont “je suis désolé” et “je m’excuse”.
La personne sincère ne promet rien, ne génère aucune précaution pour honorer le désir (et non l’engagement) d’être présent à l’heure. Elle dit en d’autres mots: « Si j’arrive en retard, j’avais quand même le désir d’arriver à l’heure, dans la mesure où les circonstances me le permettent.” La personne sincère sera contrite de l’impact sur les autres. En d’autres mots, elle vous cache subtilement que son temps est plus précieux que le vôtre et que, au-delà d’une honnête, mais non contraignante tentative d’être à l’heure, elle ne peut quand même pas être responsable des impacts sur vous — ce qui est exact en passant: ce que nous, les lésés du retard éprouvons, ne concerne que nous et il nous appartient de gérer nos émotions et les impacts sur nous.
Il n’en demeure pas moins qu’aux yeux de la personne sincère, il n’est pas dans son radar de considérer les impacts potentiels d’un retard, d’un propos déplacé, etc. Donc sincérité et intégrité ne sont pas la même chose du tout.
L’intégrité est une attitude qui consiste à honorer nos engagements, de les considérer comme un contrat entre nous et les personnes concernées. L’intégrité se préoccupe avant tout de l’impact sur les autres du non-respect de l’engagement. L’intégrité n’existe pas dans notre programmation de survie. Elle ne se met pas en place automatiquement. Elle est un choix délibéré à refaire constamment.
Un bris d’engagement au niveau de l’intégrité considère les impacts sur soi et les autres, sans moralité ou autoflagellation, juste sous l’angle de la fonctionnalité, et s’applique à reconnaître ces impacts, et finalement d’énoncer les mesures à prendre pour que le bris de parole ne se reproduise plus. Le but d’un tel exercice n’est pas de se rouler dans le goudron et les plumes, mais plutôt de retrouver sa propre puissance en examinant ce qui n’a pas fonctionné plutôt que de s’accabler de ne pas être fiable, etc.
Une autre façon de voir cette distinction consiste à faire la différence entre vouloir et pouvoir. Pour que nos engagements soient respectés, nous devons à la fois vouloir et pouvoir faire ce que nous avons dit qu’on ferait. Vouloir n’est pas suffisant (sincérité): le monde est rempli de gens qui veulent; il y a pas mal moins de gens qui peuvent (intégrité) faire ce qu’ils ont déclaré qu’ils feraient. La sincérité part du mental et de la morale; l’intégrité part du cœur et du respect de notre parole.
Pour reprendre l’exemple de la personne en retard, il faut comprendre qu’elle veut être à temps, mais ne s’est pas posée la question si elle pouvait être à temps. Si elle s’était posée la question sans pouvoir répondre par un oui ferme, elle aurait pu avertir qu’il se pouvait qu’elle soit en retard. Et curieusement, par ce geste, faire acte d’intégrité dans la non-intégrité de son seul vouloir. En d’autres mots, être authentique à propos d’être inauthentique.— Avril 2022
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